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jean-jacques rousseau

et le reconnaissant, mais foncièrement saine, sans méchanceté, sans impureté. C’est merveille, de constater l’incroyable innocence physique qu’il garda dans son vagabondage de jeunesse, sans aucun guide qui veillât sur lui. Il a traversé les milieux les plus louches, même vicieux et souillés, sans y salir une seule de ses plumes de petit cygne.

Il attire étrangement, mais il déçoit, par l’inimaginable étourderie, écervellerie, manque d’égards, manque de jugement, manque de mémoire, oubli complet, avec lesquels il laisse tomber le lendemain cela et ceux qui ont paru le prendre aujourd’hui tout entier. Il ne fait rien avec suite, interrompt tout ce qu’il a commencé. Où s’instruit-il ? A vingt ans, il ne sait rien. Ceux qui l’examinent, même bienveillants, le jugent sans avenir, bon tout au plus à faire un petit curé de campagne. Il ne s’en tourmente aucunement.


La rencontre d’une femme décide de sa vie. En 1728, à Annecy, il voit Mme de Warens, et il est pris. Cinquante ans plus tard, dans les dernières pages qu’il ait écrites, son cœur évoque, avec le même battement d’amour reconnaissant, la bonne « maman » : car l’enfant sans mère cherchera toujours la