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jean-jacques rousseau

la main ; à huit, je le savais par cœur. J’avais lu tous les romans ; ils m’avaient fait verser des seaux de larmes, avant l’âge où le cœur prend intérêt aux romans. De là se forma dans le mien un goût héroïque et romanesque, qui n’a fait qu’augmenter depuis, et qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui ressemblait à mes folies. »

L’enfant sans mère, abandonné par son père, à l’âge de dix ans, inadapté à la vie, s’évadait hors de la vie, dans ses rêves. Un précoce « ennui du monde », qui est l’annonciateur du romantisme, lui faisait rechercher la solitude dans la nature. Il « trouvait mieux son compte avec les êtres chimériques qu’il rassemblait autour de lui qu’avec ceux qu’il voyait dans le monde ». Cette « société, dont son imagination faisait les frais », risquait de lui faire perdre pied dans la vie et de dissoudre sa volonté. Il est heureux qu’il ait eu affaire, dans son enfance et dans la fleur de son adolescence, à de bonnes gens. Ses souvenirs de ces années, dans les premiers livres des « Confessions », ont une grâce et un abandon charmants. Qui ne les connaît, ne connaît pas le vrai Jean-Jacques. On ne le voit le plus souvent que d’après l’image conventionnelle de ses grands livres raisonneurs, rhétoriqueurs, moralisants. C’est lui faire tort. Il était une nature riante, aimante, séduisante, légère, volage, oublieuse, prompte à suivre tous les entraînements, incapable de résister à ses penchants, extrêmement faible,