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jean-jacques rousseau

Rousseau ne ménagea plus rien. Il ne vit plus « qu’erreur et folie dans la doctrine » de ces philosophes, qu’il avait jusqu’alors ménagés et qui le considéraient comme leur allié. Il ne vit plus « qu’oppression et misère dans l’ordre social ». Et il le dit, sans atténuer. Il jugea que « pour se faire écouter, il lui fallait mettre sa conduite d’accord avec ses principes ». Et il la mit. Il réforma son costume, il renonça aux bas blancs, aux chemises fines, il vendit sa montre, il posa l’épée, il revêtit un habit bourgeois en gros drap, une perruque ronde ; il se démit de sa place de caissier, et prétendait gagner sa vie en ouvrier, comme copiste de musique. C’est une révolution qui se fait en lui, comme un siècle plus tard elle se fit en Tolstoï, — qui s’inspira de son exemple et de ses leçons… « J’étais vraiment transformé… » On ne le reconnaissait plus. Il n’était plus ce petit étranger embarrassé, honteux, que tout intimidait. « Audacieux, fier, intrépide, plein de mépris pour les mœurs, les maximes et les préjugés de son siècle, insensible aux railleries de ceux qui les avaient, il écrasait leurs petits bons mots, avec ses sentences, comme s’il eut écrasé, dit-il, un insecte entre ses doigts. Quel changement ! Tout Paris se répétait les âcres et mordants sarcasmes de ce même homme qui, deux ans auparavant et dix ans après, n’a jamais su trouver la chose qu’il avait à dire, ni le mot qu’il devait employer !… »

S’il s’est dit plus tard persécuté, c’est dans