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jean-jacques rousseau

cette époque de guerre déclarée et livrée par lui, sans ménagements, à toute la société de son temps, qu’il faut chercher la source des rancunes inexpiables qu’il suscita.

Au Discours sur la malfaisance des sciences et des arts et de la civilisation, succéda en 1753 le « Discours sur l’Origine de l’Inégalité parmi les Hommes », dont la portée morale et l’âpreté révolutionnaire allaient bien au delà du premier Discours. Rousseau s’y trouvait emporté par le génie de révolte qui brûlait en lui et par l’implacable logique de sa pensée, à dénoncer l’idée de propriété, d’où naît l’inégalité, la nécessité des Etats qui réglementent cette inégalité, et la fatale dégénérescence de ces Etats en l’usurpation arbitraire par quelques riches qui finissent par réduire en esclavage le genre humain, il dénonçait la ploutocratie démocratique de l’avenir[1]. Bien des philosophes du XVIIIe siècle avaient déjà touché à ces idées hardies ; mais aucun n’y avait appliqué la moindre volonté de faire passer ces spéculations dans l’action. Rousseau ne faisait rien à demi. La pensée, pour lui, n’était pas un jeu. Il

  1. « Jamais dans une monarchie, l’opulence d’un particulier ne peut le mettre au-dessus du prince ; mais dans une république, elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. Alors le gouvernement n’a plus de force, et le riche est toujours le vrai souverain ».

    (Lettre à d’Alembert).