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jean-jacques rousseau

ger quelques lettres éparses, les deux premières parties du livre, sans aucun plan. Il était au plus fort du travail, quand une passion pour Mme d’Houdetot, belle-sœur de Mme d’Epinay, acheva de l’embraser (printemps 1757). Mais, aux heures où il reprenait le contrôle sur son œuvre, il rougissait, il avait honte d’infliger par sa « Julie » un démenti aussi flagrant à toutes ses belles prédications contre le monde et contre la littérature amoureuse. « Après les principes sévères qu’il venait d’établir avec tant de fracas, après tant d’invectives mordantes contre les livres efféminés qui respiraient l’amour et la mollesse », il se rendait à l’ennemi. Il s’efforçait en vain de se libérer, il était « subjugué complètement ». Il essaya de se donner le change, en « tournant ses rêveries voluptueuses vers une fin morale » ; et il y réussit, au point de ne plus admettre qu’on discutât la haute moralité de son œuvre. Ce mélange de libre passion et de moralisme sermonneur qui nous paraît aujourd’hui alourdir et refroidir le roman d’amour, ajouta, en son temps, au succès qui fut indescriptible. Les hommes de lettres eurent beau y faire une jalouse opposition, qui alla chez Voltaire, jusqu’aux plus bas outrages, l’opinion publique fut enivrée, et, par-dessus tout, celles des femmes et de la cour. La « Julie » fit verser des torrents de larmes. Toutes les critiques furent balayées par un grand vent d’enthousiasme.

La tranquillité de Rousseau était cependant