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jean-jacques rousseau

cité sans exemple, afin qu’au moins une fois on pût voir un homme tel qu’il était en dedans ». Ces « Confessions », qui ne devaient pas être publiées de son vivant, étaient faites pour remplir de leur monologue le vide de sa solitude heureuse et détachée des agitations du monde.

Il ne se doutait pas de l’effrayant orage qui s’amassait sur lui, et qui allait le déraciner de son abri de Montmorency, le pourchasser sans gîte et sans répit, jusqu’à la fin de ses jours.

Il s’était fait quantité d’ennemis : la favorite du roi, la Pompadour ; le redoutable premier ministre Choiseul ; les dispensatrices de l’opinion à Paris, Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse ; les « philosophes » qui voyaient en lui un renégat de leur ligue secrète, et à leur tête Voltaire, jaloux et plein de haine ; la bourgeoisie des légistes et des Parlements qui commençaient à flairer la menace de l’audacieuse pensée révolutionnaire de cet étranger ; enfin, la coalition singulière des athées et des dévots, qui, jusqu’alors flottante, allait se cristalliser autour d’un livre, dont Rousseau ne soupçonnait pas le danger.

Ce livre n’était pas, comme on pourrait croire aujourd’hui, le Contrat Social, qui devait être, trente ans après, le bréviaire de Robespierre, mais qui, à l’époque, passa relativement inaperçu[1], mais le plus beau, le

  1. Du moins en France, car à Genève il fut brûlé.