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jean-jacques rousseau

de se répandre en France, sans avertissement préalable, le Parlement condamnait le livre au feu et décrétait l’auteur de prise de corps (9 juin 1762). Le 11 juin, l’ouvrage fut lacéré et brûlé publiquement, au pied du grand escalier du Palais de Justice de Paris ; et l’on disait ouvertement qu’il ne suffisait pas de brûler le livre, il fallait brûler aussi l’auteur. Les protecteurs de Rousseau, ces plus grands seigneurs de France, les Luxembourg, les Boufflers et les Conti, eux-mêmes effrayés d’être compromis avec lui, le pressèrent de fuir. C’est ce qu’il fit, non sans regrets, le 11 juin. Un beau récit des Confessions évoque avec une précision émouvante, la nuit d’adieux et la fuite. Il réussit à atteindre le sol de la Suisse, et, se prosternant, il baisa « la terre de liberté », avec de grands cris.

Il n’allait pas tarder à être désillusionné sur la « liberté » suisse. Ses ennemis l’y poursuivirent, avec un acharnement incroyable. Neuf jours après Paris, Genève brûlait à son tour l’ « Emile ». Berne allait suivre, puis Neuchâtel. « Il s’élevait contre moi, dans toute l’Europe, un cri de malédiction avec une fureur qui n’eut jamais d’exemple… J’étais un impie, un athée, un forcené, un enragé, une bête féroce, un loup. » Il crut que le monde était devenu fou.

Peut-on s’étonner qu’un homme faible et tendre, désarmé, en proie à une maladie torturante qui l’empoisonnait, ait perdu, sous l’avalanche de haine qui croulait sur lui,