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jean-jacques rousseau

l’équilibre de sa raison, et qu’il ait, dès lors, été la proie d’une folie de la persécution, qui ne fit plus que s’aggraver avec les années ! Il lui sembla que l’univers entier était ligué contre lui ; et dans la solitude et dans la fièvre, son imagination tissa elle-même la toile absurde d’une conjuration universelle, au centre de laquelle il crut voir une puissance inconnue — ou qu’il évitait de nommer, qui s’acharnait à lui faire subir les plus affreux supplices.

Il chercha et trouva un refuge momentané sur les terres du roi de Prusse, dans le comté de Neuchâtel, — bien qu’il répugnât à devoir rien à Frédéric II, pour qui il ressentait de l’aversion, — en cela très différent des philosophes français qui le flagornaient (il est remarquable que le rêveur solitaire ait eu, en politique, un jugement beaucoup plus sûr que Voltaire). Il s’installa à Motiers, dans le Val-Travers, le 9 juillet 1762, et y resta deux ans et demi, sous la protection de l’intelligent gouverneur pour le roi de Prusse, Milord Keith (« Milord Maréchal ») : Ces grands seigneurs, indépendants de l’opinion et éclairés, furent toujours les meilleurs défenseurs de Rousseau. Mais il perdit cet appui par le départ de Milord Maréchal ; et, par une extrême imprudence, à l’heure où il devait tâcher de se faire oublier, il rentra, de gaieté de cœur, dans la bataille, avec ses « Lettres écrites de la Montagne » (juin-octobre 1764), qui s’attaquaient avec puissance à ses enne-