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discours sur l’origine de l’inégalité

pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent ; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain.

De la culture des terres s’ensuivit nécessairement leur partage, et, de la propriété une fois reconnue, les premières règles de justice. Les choses en cet état eussent pu demeurer égales si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l’emploi du fer et la consommation des denrées eussent toujours fait une balance exacte : mais la proportion que rien ne maintenait fut bientôt rompue ; le plus fort faisait plus d’ouvrage ; le plus adroit tirait meilleur parti du sien ; le plus ingénieux trouvait des moyens d’abréger le travail ; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron plus besoin de blé ; et en travaillant également, l’un gagnait beaucoup, tandis que l’autre avait peine à vivre. C’est ainsi que l’inégalité naturelle se déploie insensiblement avec celle de combinaison.

…De libre et indépendant qu’était auparavant l’homme, le voilà, par une multitude de