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il put, sous l’aile de l’amour, rêver et réaliser à loisir les chefs-d’œuvre de sa pensée, monuments colossaux qui dominent tout le roman du xixe siècle : Guerre et Paix (1864-1869) et Anna Karénine (1873-1877).


Guerre et Paix est la plus vaste épopée de notre temps, une Iliade moderne. Un monde de figures et de passions s’y agite. Sur cet Océan humain aux flots innombrables plane une âme souveraine, qui soulève et refrène les tempêtes avec sérénité. Plus d’une fois, en contemplant cette œuvre, j’ai pensé à Homère et à Gœthe, malgré les différences énormes et d’esprit et de temps. Depuis, j’ai vu qu’en effet, à l’époque où il y travaillait, la pensée de Tolstoï se nourrissait d’Homère et de Gœthe[1]. Bien plus, dans des notes de 1865 où il classe les divers genres littéraires, il inscrit comme

    23 janvier 1865.) Toutes les lettres de cette époque, écrites à Fet, exultent de joie créatrice. « Je regarde comme un essai de plume, dit-il, tout ce que j’ai publié jusqu’à ce jour. » (Ibid.)

  1. Déjà, parmi les œuvres qui exercèrent une influence sur lui, entre vingt et trente-cinq ans, Tolstoï indique :

    « Gœthe : Hermann et Dorothée… Influence très grande.

    « Homère : Iliade et Odyssée (en russe)… Influence très grande. »

    En juin 1863, il note dans son Journal :

    « Je lis Gœthe, et plusieurs idées naissent en moi. »

    Au printemps de 1865, Tolstoï relit Gœthe, et il nomme Faust « la poésie de la pensée, la poésie qui exprime ce que ne peut exprimer aucun autre art. »

    Plus tard, il sacrifia Gœthe, comme Shakespeare, à son Dieu. Mais il resta fidèle à son admiration pour Homère. En août 1857, il lisait, avec un égal saisissement, l’Iliade et l’Évangile. Et dans un de ses derniers livres, le pamphlet contre Shakespeare (1903), c’est Homère qu’il oppose à Shakespeare, comme exemple de sincérité, de mesure et d’art vrai.