Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/68

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étant de la même famille : « Odyssée, Iliade, 1805[1]… » Le mouvement naturel de son esprit l’entraînait du roman des destinées individuelles au roman des armées et des peuples, des grands troupeaux humains où se fondent les volontés des millions d’êtres. Ses tragiques expériences du siège de Sébastopol l’acheminaient à comprendre l’âme de la nation russe et sa vie séculaire. L’immense Guerre et Paix ne devait être, dans ses projets, que le panneau central d’une série de fresques épiques, où se déroulerait le poème de la Russie, de Pierre le Grand aux Décembristes[2].

  1. Les deux premières parties de Guerre et Paix parurent en 1865-66, sous le titre de l’Année 1805.
  2. Tolstoï commença l’œuvre, en 1863, par les Décembristes, dont il écrivit trois fragments (publiés dans le t. vi des Œuvres complètes). Mais il s’aperçut que les fondations de son édifice n’étaient pas suffisamment assurées ; et, creusant plus avant, il arriva à l’époque des guerres napoléoniennes, et écrivit Guerre et Paix. La publication commença en janvier 1865 dans le Rousski Viestnik ; le sixième volume fut terminé en automne 1869. Alors Tolstoï remonta le cours de l’histoire ; et il conçut le projet d’un roman épique sur Pierre le Grand, puis d’un autre : Mirovitch, sur le règne des impératrices du xviiie siècle et de leurs favoris. Il y travailla, de 1870 à 1873, s’entourant de documents, ébauchant plusieurs scènes ; mais ses scrupules réalistes l’y firent renoncer : il avait conscience de n’arriver jamais à ressusciter d’une façon assez véridique l’âme de ces temps éloignés. — Plus tard, en janvier 1876, il eut l’idée d’un nouveau roman sur l’époque de Nicolas i ; puis il se remit aux Décembristes, avec passion, en 1877, recueillant les témoignages des survivants et visitant les lieux de l’action. Il écrit, en 1878, à sa tante, la comtesse A.-A. Tolstoï : « Cette œuvre est pour moi si importante ! Vous ne pouvez vous imaginer combien c’est important pour moi ; aussi important que l’est pour vous votre foi. Je voudrais dire : encore plus. » (Corresp. inédite, p. 9.) — Mais il s’en détacha, à mesure qu’il approfondissait le sujet : sa pensée n’y était plus. Déjà, le 17 avril 1879, il écrivait à Fet : « Les Décembristes ? Dieu sait où ils sont !… Si j’y pensais, si j’écrivais, je me flatte de