Page:Rolland Clerambault.djvu/23

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sans nombre dans ses jugements. Comme ces erreurs étaient toujours à l’avantage des autres, qu’il voyait en beau, ils lui en savaient gré, avec quelque ironie ; il ne les gênait pas dans leur course au butin ; sa candeur provinciale était pour les blasés un spectacle rafraîchissant, tel un buisson des champs dans un square.

Maxime s’en amusait, mais il en savait le prix. Ce beau garçon de dix-neuf ans, aux yeux vifs et rieurs, avait vite fait de prendre dans le milieu parisien ce don d’observation, preste, nette et railleuse, qui s’applique aux nuances extérieures des objets et des êtres plus qu’aux idées : il ne laissait rien perdre de ce qu’offraient de comique même ceux qu’il aimait. Mais c’était sans pensée malveillante, et Clerambault souriait de sa jeune impertinence. Elle ne portait pas atteinte à l’admiration de Maxime pour son père. Elle en était le condiment : ces gamins de Paris ont besoin, pour aimer le bon Dieu, de lui tirer la barbe !

Quant à Rosine, elle se taisait, selon son habitude ; et il n’était pas facile de savoir ce qu’elle pensait. Elle écoutait, le corps penché, les mains croisées, et les bras appuyés sur la table. Il y a des natures qui semblent faites pour recevoir : comme une terre silencieuse, qui s’ouvre à tous les grains ; et beaucoup s’y enfoncent qui restent endormis ; mais on ne sait pas ceux qui fructifieront. L’âme de la jeune fille était pareille : les paroles du lecteur ne s’y reflétaient pas comme sur les traits intelligents et mobiles de Maxime ; mais une légère roseur répandue sous la peau et l’éclat humide des prunelles que les paupières voilaient témoignaient