Page:Rolland Clerambault.djvu/26

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s’accordait pas très bien avec ce panthéisme esthétique, mais qu’il tirait de son propre fonds.

Il s’était fait l’interprète de toutes les idées nobles et humaines, sympathisait avec les partis avancés, les ouvriers, les opprimés, le peuple, — qu’il ne connaissait guère : car il était un pur bourgeois, d’idées généreuses et vagues. Plus encore que le peuple, il adorait la foule, il aimait à s’y baigner ; il jouissait de se fondre (il le pensait du moins) dans l’âme de tous. C’était un vertige à la mode, en ce temps, parmi les intellectuels. Et la mode ne faisait, comme à l’ordinaire, que souligner d’un trait fort une disposition générale de l’heure présente. L’humanité s’acheminait à l’idéal de la fourmilière. Les insectes les plus sensibles, — artistes, intellectuels, — avaient été les premiers à en manifester les symptômes. On n’y voyait qu’un jeu et l’on ne s’apercevait pas de l’état général dont ces symptômes étaient l’indice.

L’évolution démocratique du monde depuis quarante ans avait beaucoup moins réussi à établir en politique le gouvernement du peuple que, dans la société, le règne de la médiocrité. L’élite des artistes avait, d’abord, justement réagi contre ce nivellement des intelligences ; mais, trop faible pour lutter, elle s’était retirée à l’écart, exagérant son dédain et son isolement ; elle avait prôné un art raréfié, accessible seulement à quelques initiés. Rien de mieux que la retraite, quand on y porte une richesse de conscience, une abondance de cœur, une âme jaillissante. Mais il y avait loin des cénacles littéraires de la fin du dix-neu-