Page:Rolland Clerambault.djvu/34

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chien, l’oreille tendue aux frémissements de la nuit Une nuit si pure, si tendre ! Ceux qui ont vécu ces dernières soirées de juillet 1914 et celle plus belle encore du premier jour d’août gardent dans leur mémoire la splendeur merveilleuse de la nature entourant de ses bras affectueux, avec un beau sourire de pitié, l’abjecte race humaine, prête à se dévorer.

Il était près de dix heures. Clerambault avait cessé de parler. Personne ne lui donnait la réplique. Ils se taisaient, le cœur gros, vaguement absorbés ou s’efforçant de l’être, les femmes par un ouvrage, Clerambault par un livre que ses yeux seuls lisaient. Maxime était sorti sur le perron, et fumait. Appuyé sur la rampe, il regardait le jardin endormi et la coulée magique du clair de lune dans l’ombre de l’allée.

La sonnerie du téléphone les fit tressaillir. On demandait Clerambault. Il alla d’un pas lourd, l’air assoupi et distrait. Il ne comprit pas d’abord.

— Qui parle ?… Ah ! c’est vous, cher ami ?…

(Un confrère parisien lui téléphonait, de la rédaction d’un journal.)

Il continuait de ne pas comprendre :

— Je ne saisis pas… Jaurès… Eh bien ! Jaurès ?… Ah ! Mon Dieu !…

Maxime, poussé par une appréhension secrète, suivait de loin l’entretien ; il se précipita pour reprendre des mains de son père l’appareil, que Clerambault laissait tomber avec un geste de désespoir.

— Allo !… allo !… Vous dites ? Jaurès assassiné !…