Page:Rolland Clerambault.djvu/45

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flatterait pas. Mais ceux qui, comme Clerambault, ont, à défaut de dons psychologiques, la vertu de la sincérité, sont suffisamment munis pour exercer un contrôle sur leur exaltation.

Un jour, il se promenait seul ; il vit un attroupement, de l’autre côté de la chaussée. À la terrasse d’un café, les gens se bousculaient. Il traversa la rue. Il était calme. Il se trouva sur l’autre trottoir, dans une agitation confuse qui tourbillonnait autour d’un point invisible. Il eut assez de peine à s’y introduire. À peine fut-il intercalé dans cette roue de moulin, qu’il devint un morceau de la jante : il s’en rendit nettement compte ; son esprit tourna avec elle. Il vit, au moyeu de la roue, un homme qui se débattait ; et, avant de connaître le sens des fureurs de la foule, il les ressentit. Il ne savait pas s’il s’agissait d’un espion ou d’un parleur imprudent qui avait bravé les passions populaires ; mais on criait autour de lui, et il s’aperçut que… oui, que lui, Clerambault, il venait de crier :

— Assommez-le !

Un remous de la foule le rejeta hors du trottoir, une voiture le sépara de l’attroupement ; et quand le chemin se retrouva libre, la meute s’éloignait en courant après la proie. Clerambault les suivit du regard, et il entendait encore le son de sa propre voix. Il rebroussa chemin et il rentra. Il n’était pas fier…

À partir de ce jour, il sortit moins souvent. Il se méfiait. Mais il continua de cultiver l’ivresse en chambre. À sa table de travail, il se croyait à l’abri. Il ne savait pas la virulence du fléau. La maladie se glisse