Page:Rolland Clerambault.djvu/46

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par les fenêtres, par les fentes des portes, par le papier imprimé, par l’air, par la pensée. Les plus sensibles la respirent, avant d’avoir rien vu, avant d’avoir rien lu, en entrant dans la ville. À d’autres il suffit d’avoir subi le contact, une fois, en passant ; l’infection se développe ensuite, dans l’isolement. Clerambault, éloigné de la foule, en avait pris la contagion ; et le mal s’annonçait par les prodromes habituels. Cet homme affectueux et tendre haïssait, haïssait par amour. Son intelligence, qui avait toujours été profondément loyale, s’essayait en secret à tricher avec soi, à légitimer ses instincts de haine par des raisons qui y étaient contraires. Il s’apprenait l’injustice et le mensonge passionnés. Il voulait se persuader qu’il pouvait accepter le fait de la guerre et y participer, sans renier son pacifisme d’hier, son humanitarisme d’avant-hier, et son optimisme de toujours. Ce n’était pas commode : mais il n’est rien où la raison ne puisse atteindre. Quand son propriétaire sent l’impérieux besoin de se défaire, pour un temps, de principes qui le gênent, elle trouve dans les principes mêmes l’exception qui les viole, en confirmant la règle. Clerambault commençait à se fabriquer une thèse, un idéal — absurdes — où s’accordaient les contradictoires : la guerre contre la guerre, la guerre pour la paix, pour la paix éternelle.