Page:Rolland Clerambault.djvu/63

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ses ambitions, de ses amours, de ses désirs, que la vie a trahis. Un demi-siècle de vie comprimée prend sa revanche. Les millions de petites geôles de la prison sociale s’ouvrent. Enfin !… Les instincts enchaînés détendent leurs membres raidis, ont le droit de bondir en plein air et de crier. Le droit ? Ils ont le devoir à présent de se ruer, tous ensemble, comme une masse qui tombe. Les flocons isolés se sont faits avalanche.

Elle entraînait Camus. Le petit chef de bureau faisait corps avec elle. Et nulle frénésie, nulle violence vaine. Une grande force et le calme. Il était « bien ». Bien de cœur, bien de corps. Il n’avait plus d’insomnies. Pour la première fois, depuis de longues années, l’estomac ne le faisait plus souffrir, — parce qu’il l’avait oublié. Il passa même l’hiver, — (cela ne s’était jamais vu) — sans un jour s’enrhumer. On ne l’entendait plus aigrement accuser et ceci et cela ; il ne déblatérait plus et contre ce qu’on avait fait et contre ce qu’on n’avait pas fait ; il était envahi par une piété sacrée pour tout le corps social, — ce corps qui était le sien, plus fort, plus beau et meilleur ; il se sentait fraternel avec tous ceux qui le constituaient par leur étroite union, comme une grappe d’abeilles suspendue à une branche. Il enviait les plus jeunes qui partaient pour le défendre ; il contemplait avec des yeux attendris son neveu Maxime, se préparant gaiement ; et au départ du train qui emportait les jeunes hommes, il embrassait Clerambault, il serrait la main aux parents inconnus qui accompagnaient leurs fils ; il avait les larmes aux yeux, d′émotion et de bonheur. En ces