Page:Rolland Clerambault.djvu/66

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peine à briller dans ce concours d’éloquence. Il avait le don funeste d’éloquence verbale et rythmique qui sépare les poètes de la réalité, en les enveloppant de leur toile d’araignée. En temps de paix, la toile inoffensive pendait aux buissons ; le vent passait au travers ; et la débonnaire Arachné ne songeait à attraper dans ses mailles que la lumière. Aujourd’hui, ces poètes cultivaient en eux des instincts carnassiers, heureusement périmés ; et l’on apercevait, tapie au fond de leur toile, une vilaine bête dont l’œil guettait la proie. Ils chantaient la haine et la sainte tuerie. Clerambault fit comme eux, fit mieux qu’eux, car sa voix était plus pleine. À force de crier, ce brave homme finit par sentir les passions qu’il n’avait point. À « connaître » enfin la haine (« connaître », au sens biblique), il éprouvait secrètement cette basse fierté d’un collégien qui sort pour la première fois du bordel. Maintenant il était un homme ! En effet, il ne lui manquait plus rien pour ressembler à la bassesse des autres.

Camus eut la primeur de chacun de ses poèmes. Ce lui était bien dû. Il en hennissait d’enthousiasme, car il s’y reconnaissait. Et Clerambault était flatté, car il pensait atteindre la fibre populaire. Les deux beaux-frères passaient les soirées en tête à tête. Clerambault lisait ; Camus buvait ses vers ; il les savait par cœur ; il répétait à qui voulait l’entendre que Hugo était ressuscité, que chacun de ces poèmes valait une victoire. Son admiration bruyante dispensait à propos les autres membres de la famille d’énoncer un jugement. Rosine régulièrement s’arrangeait, sous quelque prétexte, pour