Page:Rolland Clerambault.djvu/77

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ment, et Clerambault, s’arrêtant, se découvrit avec emphase ; sa main gauche serrait plus fortement le bras de Maxime. Il le sentit tressaillir, et regardant son fils, il lui trouva un air étrange ; il crut que Maxime était ému, et voulut l’entraîner. Mais Maxime ne bougeait pas. Maxime était ahuri :

— « Un mort ! » pensait-il. « Tout ça pour un mort !… Mais là-bas, on marche dessus… Cinq cents morts au tableau, c’est la ration normale. »

Il eut un mauvais petit rire. Clerambault, effrayé, le tira par le bras :

— Viens ! dit-il.

Ils s’éloignèrent.

— « Si on voyait ! » pensait Maxime, « si ces gens voyaient !… Toute leur société craquerait… Mais ils ne verront jamais, ils ne veulent pas voir… »

Et ses yeux, cruellement aigus, découvrirent tout à coup autour de lui… l’ennemi : l’inconscience de ce monde, la bêtise, l’égoïsme, le luxe, le « je m’en fous ! » l’immonde profit de la guerre, la jouissance de la guerre, le mensonge jusqu’aux racines… les abrités, les embusqués, les policiers, les « obusiers », avec leurs autos insolentes qui ressemblent à des canons, et leurs femmes haut-bottées, au museau saignant, ces gueules de bonbon féroces… Ils sont contents… Tout va bien !… « Ça va durer, ça dure ! »… — Une moitié de l’humanité mange l’autre…

Ils rentrèrent. Le soir, après dîner, Clerambault brûlait de lire à Maxime un poème qu’il venait d’écrire ; l’intention en était touchante et un peu ridicule ; dans