Page:Rolland Clerambault.djvu/78

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son amour pour son fils, il tâchait d’être, en esprit au moins, son compagnon de gloire et de peine ; et il avait décrit — de loin — « l’Aube dans la tranchée ». Deux fois, il se leva pour chercher le manuscrit. Mais quand il tenait les feuilles, une pudeur le paralysait. Il se rassit, les mains vides.

Les jours passaient. Ils se sentaient unis étroitement par les liens du corps, mais les âmes ne parvenaient point à se toucher. Aucun ne voulait le reconnaître, et chacun le savait. Une tristesse était entre eux ; ils se refusaient à en voir la vraie cause ; ils aimaient mieux l’attribuer à l’approche du départ. De temps en temps, le père, la mère, faisait une nouvelle tentative pour rouvrir la source d’intimité. À chaque fois, c’était la même déconvenue. Maxime s’apercevait qu’il n’avait plus aucun moyen de communiquer avec eux, avec personne de l’arrière. C’étaient des mondes différents. S’entendrait-on jamais plus ? Pourtant, il les comprenait : lui-même avait subi, naguère, l’influence qui pesait sur eux : il ne s’était dégrisé que là-bas, au contact de la souffrance et de la mort réelles. Mais justement parce qu’il avait été atteint, il savait l’impossibilité de guérir les autres, avec des raisonnements. Alors il se taisait, laissait parler, souriait vaguement, opinait sans écouter. Les préoccupations de l’arrière, les criailleries des journaux, les questions de personnes (et quelles personnes ! de vieux polichinelles, des politiciens tarés et avachis !) les hâbleries patriotardes des stratèges de l’écritoire, les inquiétudes au sujet du pain rassis ou de la carte de sucre ou des jours de