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LE PEUPLE ET LE THÉÂTRE

milieu auquel elles ne sont pas accommodées, causent de graves désordres. Ce n’est pas seulement en morale qu’ « un méridien décide de la vérité », et qu’ « une rivière la borne ». Il en est de même dans l’art. Des siècles ont proscrit le nu, au nom de scrupules, non seulement moraux, mais esthétiques. Les statuaires du Moyen-Âge l’écartaient connue difforme, pensant que « le vêtement est nécessaire à la grâce du corps ». Les peintres de l’école de Giotto ne trouvaient dans le corps de la femme « aucune mesure parfaite ».[1] Les hommes du dix-septième siècle qui connaissaient le mieux l’architecture gothique,[2] la condamnaient précisément au nom des raisons qui nous la font aimer. Un génie du dix-huitième siècle[3] s’indignait comme d’une injure d’être comparé à Shakespeare. Un grand peintre italien[4] traite la peinture flamande d’art de sacristie, « bon pour les femmes, les moines et les dévots ». Et le moujik, dont parle Tolstoy, regarde avec dégoût la Vénus de Milo. Il est possible que le beau pour l’élite soit le laid pour la foule, qu’il ne réponde pas à ses besoins, aussi légitimes que les nôtres. N’imposons donc pas, sans examen, au peuple du vingtième siècle l’art et la pensée de sociétés aristocratiques et passées. D’ailleurs le théâtre populaire a beaucoup mieux à faire qu’à ramasser les restes du théâtre bourgeois. Nous ne tenons pas à étendre la clientèle des théâtres actuels : ce n’est pas pour eux que nous travaillons ; nous n’avons à prendre en considération que le bien de

  1. Cennino Cennini, en 1437.
  2. Fénelon.
  3. Gluck
  4. Michel-Ange.
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