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le théâtre du passé

Ce sont deux mondes différents : il n’y a aucun intérêt à les vouloir rapprocher. Le grand art de Racine est d’une impersonnalité sereine, au fond de laquelle transparaissent, comme d’une eau limpide, les âmes et leurs émotions, — surtout des âmes faibles et des émotions féminines. L’auteur ne prend point parti ; à peine semble-t-il se passionner pour ou contre les événements où vont se briser ses héros ; il ne fait rien pour les violenter, il les subit passivement. On ne sent point en lui une force supérieure qui cherche à s’imposer : le Maître, dont une foule, surtout une foule française, aime à sentir au théâtre la domination de la volonté, de la pensée, ou simplement du verbe, — ce qui fit, de notre temps, la popularité plus ou moins justifiée de Dumas fils. — Le théâtre de Racine est l’œuvre d’un dilettante de génie, qui fait de l’art pour l’art, que l’action n’intéresse guère, et qui par suite n’en peut guère exercer, sinon sur les artistes comme lui, — aristocratie dont le nombre sera toujours restreint.

Il en est autrement de Corneille. On se trouve en présence d’une volonté qui s’adresse directement à la volonté, d’un homme qui parle à l’homme, d’un grand courant d’action qui relie, d’une façon continue, le public à la scène. Certains, — les délicats, — peuvent être choqués de l’insistance fatigante d’un homme qui vous parle au visage, qui ne vous lâche plus après vous avoir saisi, et qui vous étourdit de sa faconde violente. Mais la foule aime qu’on lui commande. Elle n’a point avec Corneille ce malaise qu’elle éprouve inconsciem-

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