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LA TRAGÉDIE CLASSIQUE

fait pour rebuter un auditoire populaire. Il ne lui offre qu’un minimum de plaisir. Peu de personnages ; peu d’événements ; point de mise en scène ; point d’action apparente, ou une action qui se traduit en paroles abstraites. Ce théâtre repose sur les anciennes humanités, le discours latin, l’amplification du barreau, la rhétorique bourgeoise. Rien pour la vie physique du peuple, qui souffre d’être comprimée. Rien pour son imagination enfantine et avide. On sent que cet art est l’expression d’une société « d’imagination sèche et de raison exigeante »,[1] à l’opposé du peuple. — Cela est frappant dans les idées, les sujets, les personnages mêmes, dont toute une partie nous est devenue étrangère et lointaine. Il ne s’agit pas seulement de certaines fureurs, dont nous ne sentons plus l’aiguillon avec cette intensité, de certaines passions de l’âge de pierre, comme celle du point d’honneur (plus surprenante encore dans le théâtre espagnol, et qui conduit tel héros de Calderon à des actes non seulement atroces, mais absurdes). Il ne s’agit pas non plus uniquement de ces parties mortes de l’âme, de cette galanterie insupportable, de cette politesse amoureuse, ridiculement démodée. L’âme même de cet art est à peu près perdue pour nous. C’est un art politique, fait pour un public d’hommes d’État, de patriotes, de théoriciens du gouvernement ou de la révolte. Il reflète, comme on l’a dit, cette génération de grands ambitieux des ministères Richelieu et Mazarin, « ces âmes fortes et dures », dont la passion dominante était de gouverner, et qui, en pensée, parfois en action, essayant de toutes les

  1. Gustave Lanson. — Histoire de la littérature française.
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