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LA TRAGÉDIE CLASSIQUE

obscure, et l’action lente et froide. — La jeunesse ardente du Cid, sa liberté d’allure, son abondance généreuse de vie, inspirent une sympathie irrésistible. Peut-être cependant le problème chevaleresque qui y était posé pour les gentilshommes duellistes de la cour de Louis XIII est-il devenu un peu archaïque pour les ouvriers du faubourg Saint-Antoine. — Nicomède serait peut-être l’œuvre la plus populaire de Corneille ; car le caractère principal est de cette espèce chère à tout peuple : un bon géant joyeux, un Siegfried gaulois, seul au milieu d’ennemis, déjouant leurs perfidies, raillant leurs petitesses, avec un héroïsme ironique, tranquille et finalement heureux. Les figures qui l’entourent sont pittoresques : la belle sauvage Laodice, le vieux roi, peureux et menteur, le chevalier français Attale, le diplomate anglo-saxon Flaminius. La pièce est habilement machinée, et les aventures ont peut-être plus d’intérêt, que ce n’est l’habitude des tragédies, ou un intérêt moins attendu, et qui grandit jusqu’à la fin. Pourquoi, précisément ici, le style est-il plus obscur et plus galimatias que jamais ? Comme Horace, et davantage encore, on ne pourrait jouer Nicomède sans coupures et sans explications. — En somme, et sans pousser l’examen plus avant, il semble qu’on ne puisse rien retenir de la tragédie du dix-septième siècle que pour la lecture, et non pour la représentation.[1]

  1. Maurice Pottecher, bien placé pour observer de près le public populaire, est du même avis : « Je ne crois guère possible de faire un emprunt à notre tragédie classique ; c’est une forme d’art aristocratique qui me semble peu convenir à l’auditoire d’un Théâtre du peuple ; et des acteurs populaires ne sont point faits pour parler la langue que Corneille et Racine prêtent à leurs héros. » (Le Théâtre du Peuple. — Revue des Deux Mondes, premier juillet 1903)