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206 LES ORIGINES DU THEATRE LYRIQUE MODERNE.

ce n'est pas un homme qui chante, c'est une âme répandue dans tout l'être harmonique; et c'est, à dire vrai, l'âme humaine tout entière, grave, douloureuse, prosternée en de mélancoliques édifications, que l'on sent au travers des douleurs de David.

La grandeur et l'originalité de cet art paraît surtout dans la troisième partie des Symphonise Sacrœ, qui est le chef-d'œuvre de Schùtz. Je prendrai pour exemple la Conversion de saint Paul (1).

a Paul était entré dans la grande plaine de Damas. Il appro- chait de la ville et s'était engagé dans les jardins qui l'entourent. Il est midi » ; il rêve. Et voici que des voix montent en lui ; mysté- rieuses, profondes, elles sourdent du silence, « Saul, Saul, Saul, pourquoi me poursuis-tu ? » Elles éveillent des échos dans toutes les fibres de l'être; d'autres voix les répètent; elles vibrent dans l'orchestre, et le reproche divin retentit avec force, puis s'affai- blit et meurt. Après un silence, une voix seule, un ténor, con- tinue : « Tu te repentiras de regimber contre l'aiguillon », et tout l'orchestre reprend : « Saul , Saul , pourquoi me poursuis- tu? » Puis la menace imposante pénètre à son tour dans l'ensem- ble, comme une grande ride s'étend sur un lac; elle se glisse dans tous les coins ; elle coule de voix en voix , entrechoquant partout ses paroles d'un calme terrible : « Tu te repentiras (Es wird dir schwer werden) ». Enfin, avec toutes les forces de l'or- chestre, le reproche du commencement recommence, incessant, répété, fort et faible tour à tour, remplissant les oreilles et le cœur, tandis que la voix du ténor martelle sans répit l'appel : Saul, Saul, — qui monte, avec une insistance monotone et hallucinatrice , parmi l'apaisement progressif de l'orchestre qui s'éteint. Cette symphonie dramatique est du même ordre que certaines pages du premier acte de Parsifal (2). Ainsi que dans la scène du Graal, on sent planer comme une lumière aux larges ondes, l'Esprit de Dieu, invisible, insaisissable, partout présent.

Il y a bien d'autres traits en ce vieux maître trop ignoré, que l'on commence à peine à faire connaître en France (3). Qui pour-

��Samuel. Le sujet avait été traité déjà trois fois par Josquin de Près. (5 8 vol. des Œuvres.)

(1) La Conversion de Saint Paul, pour 10 voix, 2 violons et basse. 3° par- tie des Symphoniae Sacrae, 1650, Dresde (U me vol. des œuvres).

(2) Il n'est pas question, naturellement, de toutes les ressources moder- nes, orchestration et harmonies, et de leur mysticisme sensuel mais seule- ment de l'esprit de l'œuvre et surtout de sa conception.

(3) Concerts des 14 et 28 février, et 14 mars 1895, donnés par les chanteurs de Saint-Gervais, à la salle d'Harcourt.

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