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la vie de Michel-Ange

Filonico Alicarnasseo, qui la connut et écrivit sa vie, laisse entendre, malgré tous les égards d’expressions dont il use, qu’elle était laide : « Quand elle fut mariée au marquis de Pescara, dit-il, elle s’appliqua à développer les dons de son esprit ; car, comme elle ne possédait pas grande beauté, elle s’instruisit dans les lettres, pour s’assurer l’immortelle beauté qui ne passe pas, comme l’autre. » — Elle était passionnément intellectuelle. Dans un sonnet, elle dit elle-même que « les sens grossiers, impuissants à former l’harmonie qui produit le pur amour des nobles âmes, n’éveillèrent jamais en elle plaisir ni souffrance… Claire flamme, ajoute-t-elle, éleva mon cœur si haut, que de basses pensées l’offensent ». — En rien, elle n’était faite pour être aimée du brillant et sensuel Pescara ; mais, comme le veut la déraison de l’amour, elle était faite pour l’aimer et pour en souffrir.

Elle souffrit cruellement, en effet, des infidélités de son mari, qui la trompait dans sa propre maison, au su et au vu de tout Naples. Cependant, quand il mourut, en 1525, elle ne s’en consola point. Elle se réfugia dans la religion et dans la poésie. Elle mena une vie claus-

    sonnet : — beau et triste dessin, que Michel-Ange n’eût, en ce cas, voulu laisser voir à personne. — Elle est âgée, nue jusqu’à mi-corps, les mamelles vides et pendantes ; la tête n’a point vieilli, elle est droite, pensive et fière ; un collier entoure le cou long et fin ; les cheveux, relevés, sont enfermés dans un bonnet, attaché sous le menton, et qui cache les oreilles et fait casque. En face d’elle, une tête de vieillard, qui ressemble à Michel-Ange, la regarde, — pour la dernière fois. — Elle venait de mourir, quand il fit ce dessin. Le sonnet qui l’accompagne est la belle poésie sur la mort de Vittoria : « Quand’ el ministro de sospir mie tanti… » — Frey a reproduit le dessin dans son édition des Poésies de Michel-Ange, page 385.

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