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la vie de Michel-Ange

Malgré son humeur sauvage, il serait tout à fait faux de se le représenter comme un paysan du Danube, à la façon de Beethoven. Il fut un aristocrate italien, de haute culture et de race fine. Depuis son adolescence passée dans les jardins de San Marco, auprès de Laurent le Magnifique, il resta en rapports avec tout ce que l’Italie comptait de plus noble parmi ses grands seigneurs, ses princes, ses prélats,[1] ses écrivains[2] et ses artistes.[3] Il faisait assaut d’esprit avec le poète

    reux, qui rapportait à Michel-Ange tous les bruits qui couraient sur son compte et attisait son inimitié contre le parti de Raphaël. — C’est surtout, au temps de Vittoria Colonna, le cercle de Luigi del Riccio, marchand florentin, qui le conseillait dans ses affaires et fut son ami le plus intime. Il rencontrait chez lui Donato Giannotti, le musicien Archadelt, et le beau Cecchino. Ils avaient l’amour commun de la poésie, de la musique et des bons plats. C’est pour Riccio, désespéré de la mort de Cecchino, que Michel-Ange écrit ses quarante-huit épigrammes funéraires ; et Riccio, pour l’envoi de chaque épigramme, expédie à Michel-Ange des truites, des champignons, des truffes, des melons, des tourterelles, etc. (Voir Poésies, édition Frey, LXXIII) — Après la mort de Riccio, en 1546, Michel-Ange n’eut plus guère d’amis, mais des disciples : Vasari, Condivi, Daniel de Volterre, Bronzino, Leone Leoni, Benvenuto Cellini. Il leur inspirait un culte passionné ; de son côté, il leur témoignait une affection touchante.

  1. Par ses fonctions au Vatican, non moins que par la grandeur de son esprit religieux, Michel-Ange fut particulièrement en relations avec les hauts dignitaires de l’Église.
  2. Il peut être curieux de noter, en passant, que Michel-Ange connut Machiavel. Une lettre de Biagio Buonaccorsi à Machiavel, le 6 septembre 1508, lui annonce qu’il lui a envoyé par Michel-Ange de l’argent d’une femme qui n’est pas nommée.
  3. Ce fut sans doute parmi les artistes qu’il eut le moins d’amis, — sauf à la fin de sa vie, où il était entouré de disciples qui l’adulaient. — Il avait peu de sympathie pour la plupart d’entre eux, et ne le leur cachait point. Il fut en fort mauvais termes avec Léonard de Vinci, Pérugin, Francia, Signorelli, Raphaël, Bramante, San Gallo. « Le jour soit maudit, où vous avez jamais dit du bien de personne ! » lui écrit Jacopo Sansovino, le 30 juin 1517. — Cela n’empêcha point Michel-Ange de rendre service plus tard à Sansovino (en 1524), et à bien d’autres : mais il avait un génie trop passionné pour aimer un autre idéal que le sien ; et il était trop
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