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SOLITUDE

dans le mysticisme. Il reniait l’art et se réfugiait dans les grands bras ouverts du Crucifié :

Le cours de ma vie est arrivé, sur la mer orageuse, par une fragile barque, au port commun où l’on débarque pour rendre compte et raison de toute œuvre pie et impie. Aussi, l’illusion passionnée qui me fit de l’art une idole et un monarque, je connais aujourd’hui combien elle était chargée d’erreurs ; et je vois clairement ce que tout homme désire pour son mal. Les pensées amoureuses, les pensées vaines et joyeuses, que sont-elles à présent que je m’approche de deux morts ? De l’une je suis certain, et l’autre me menace. Ni peinture ni sculpture ne sont plus capables d’apaiser l’âme, tournée vers cet amour divin, qui ouvre, pour nous prendre, ses bras sur la croix.[1]

Mais la fleur la plus pure que la foi et la souffrance firent pousser dans ce vieux cœur malheureux fut la divine charité.

Cet homme, que ses ennemis, accusaient d’avarice,[2]

  1. Annexes, XXVI. (Poésies, CXLVII)

    Ce sonnet, que Frey juge, non sans raison, le plus beau de tous ceux de Michel-Ange, date de 1555–1556.

    Un grand nombre d’autres poésies expriment, avec une moindre beauté de forme, mais non moins d’émotion et de foi, un sentiment analogue. Voir aux Annexes, XXVII.

  2. Ces bruits étaient mis en circulation par l’Arétin et par Bandinelli. L’ambassadeur du duc d’Urbin racontait à qui voulait l’entendre, en 1542, que Michel-Ange était devenu immensément riche, en prêtant à usure l’argent qu’il avait reçu de Jules II, pour le monument qu’il n’avait pas exécuté. — Michel-Ange avait donné prétexte, dans une certaine mesure, à ces accusations, par la dureté qu’il montra parfois en affaires, — [par exemple, avec le vieux Signorelli, qu’il poursuivit en 1518, pour un emprunt fait en 1513], — et par une rapacité instinctive de paysan thésauriseur, qui s’alliait en lui à sa générosité naturelle. Il amassait de l’argent et des biens ; mais c’était, pour ainsi dire, d’un geste machinal et héréditaire. En réalité, il était d’une extrême négligence en affaires ;
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