Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/189

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mirent à dévorer cette chair vivante. Alors, les chiens oublièrent les hommes et tous se ruèrent sur les loups.

Tandis que la mêlée s’engageait, les nomades avaient pris le galop. Une buée annonçait la rivière prochaine, et Naoh, par intervalles, discernait un miroitement. Deux ou trois fois, il s’arrêta pour s’orienter. À la fin, montrant une masse grisâtre qui dominait la rive, il dit :

— Naoh, Nam et Gaw se riront des chiens et des loups.

C’était un grand rocher qui formait presque un cube et s’élevait à cinq fois la hauteur d’un homme. Il n’était accessible que d’un seul côté. Naoh le gravit rapidement, car il le connaissait depuis des saisons nombreuses. Quand Nam et Gaw l’eurent suivi, ils se trouvèrent sur une surface plate, plantée de broussailles et même d’un sapin, où trente hommes pouvaient camper à l’aise.

Là-bas, vers la plaine cendreuse, les loups et les chiens combattaient éperdument. Des rumeurs féroces, de longues plaintes vrillaient l’air humide ; les nomades goûtaient la sécurité.

Le bois gémit, le feu darda ses langues rouges et ses fumées fauves, une large lueur s’épandit sur les eaux. Du roc solitaire se détachaient deux segments de rive nue ; les roseaux, les saules et les peupliers ne poussaient qu’à distance ; en sorte qu’on distinguait toutes choses à vingt portées de harpon…

Cependant, des bêtes fuient la clarté et se cachent, ou accourent, fascinées. Deux chouettes s’élèvent sur un tremble, avec un cri funèbre, une nuée d’oreillardes tourbillonne, un vol éperdu d’étourneaux file à l’autre rive, des canards troublés abandonnent le couvert et se hâtent vers l’ombre, de longs poissons surgissent de l’abîme, vapeurs argentées, flèches de nacre, hélices