Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/40

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bientôt, il ne demeura qu’une ouverture vers la droite, à hauteur d’homme. Quand l’ours fut proche, il secoua sa tête grondante et regarda, interloqué. Car s’il avait flairé les hommes, entendu le bruit de leur travail, il ne s’attendait pas à voir clos le gîte où il avait passé tant de saisons ; une obscure association se fit dans son crâne, entre la fermeture du repaire et ceux qui l’occupaient. D’ailleurs, reconnaissant l’odeur d’animaux faibles, dont il comptait se repaître, il ne montra aucune prudence. Mais il était perplexe.

Il s’étirait au clair de lune, bien à l’aise dans sa fourrure, étalant son poitrail argenté et balançant sa gueule conique. Puis il s’irrita, sans raison, parce qu’il était d’humeur morose, brutale, presque étranger à la joie, et poussa de rauques clameurs. Impatient alors, il se dressa sur ses pieds arrière ; il parut un homme immense et velu, aux jambes trop brèves, au torse démesuré. Et il se pencha vers l’ouverture demeurée libre.

Nam et Gaw, dans la pénombre, tenaient leurs haches prêtes ; le fils du Léopard élevait sa massue : on s’attendait que la bête avancerait les pattes, ce qui permettrait de les entailler. Ce fut l’énorme crâne qui se projeta, le front feutré, les lèvres baveuses et les dents en pointes de harpon. Les haches s’abattirent, la massue tournoya, impuissante à cause des saillies de l’ouverture ; l’ours mugit et recula. Il n’était pas blessé : aucune trace de sang ne rougissait sa gueule ; l’agitation de ses mâchoires, la phosphorescence de ses prunelles annonçaient l’indignation de la force offensée.

Toutefois, il ne dédaigna pas la leçon ; il changea de tactique. Animal fouisseur, doué d’un sens affiné des obstacles, il savait qu’il vaut parfois mieux les abattre que d’affronter une passe dangereuse. Il tâta la muraille, il la poussa : elle vibrait aux pesées.