Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/47

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luisantes. Mais il subissait un autre instinct : ne pas détruire en vain la chair nourricière. Or il avait de la viande fraîche ; la proie foisonnait. Enfin, se souvenant de son triomphe sur l’ours, Naoh jugeait moins méritoire d’abattre un urus. Il abaissa sa sagaie, il renonça à une chasse où il pouvait fausser ses armes. Et l’urus, s’avançant avec lenteur, prit le chemin de la rivière.

Soudain, les trois hommes dressèrent la tête, les sens dilatés par le péril. Leur doute fut court : Nam et Gaw, sur un signe du chef, se glissèrent sous les blocs erratiques. Lui-même les suivait, au moment où un mégacéros jaillissait de la forêt. Toute la bête était un vertige de fuite. La tête aux vastes palmures rejetée en arrière, une écume mélangée d’écarlate ruisselant aux naseaux, les pattes rebondissant comme des branches dans un cyclone, le mégacéros avait fait une trentaine de bonds, lorsque l’ennemi surgit à son tour. C’était un tigre, aux membres trapus, aux vertèbres élastiques et dont le corps, à chaque reprise, franchissait vingt coudées. Ses bonds flexibles semblaient des glissements dans l’atmosphère. Chaque fois que le félin atteignait le sol, il y avait une pause brève, une reconcentration d’énergie.

Dans son mouvement moins ample, le cervidé ne subissait point d’arrêt. Chaque saut était la suite accélérée du saut précédent. À cette période de la poursuite, il perdait du terrain. Pour le tigre, la course venait de commencer, tandis que le mégacéros arrivait de loin.

— Le tigre saisira le grand cerf ! fit Nam d’une voix frissonnante.

Naoh, qui regardait passionnément cette chasse, répondit :

— Le grand cerf est infatigable.

Non loin de la rivière, l’avance du mégacéros se trouva réduite de moitié. Dans une tension suprême, il accrut