Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/56

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froides, repose des fatigues et rend redoutable la faiblesse des hommes.

Dans la pénombre des pierres basaltiques, Naoh, avec un doux désir, voyait le brasier du campement et les lueurs qui effleuraient le visage de Gammla. La lune montante lui rappelait la flamme lointaine. De quel lieu de la terre la lune jaillit-elle, et pourquoi, comme le soleil, ne s’éteint-elle jamais ? Elle s’amoindrit ; il y a des soirs où elle n’est plus qu’un feu chétif comme celui qui court le long d’une brindille. Puis elle se ranime. Sans doute, des Hommes-Cachés s’occupent de son entretien et la nourrissent selon les époques… Ce soir, elle est dans sa force : d’abord aussi haute que les arbres, elle diminue, mais luit davantage, tandis qu’elle monte dans le ciel. Les Hommes-Cachés ont dû lui donner du bois sec en abondance.

Tandis que le fils du Léopard rêve à ces choses, les bêtes nocturnes vont à leur aventure. Des silhouettes furtives glissent sur les herbes. Il discerne des musaraignes, des gerboises, des agoutis, des fouines légères, des belettes au corps de reptile ; puis vient un élaphe à dix cors qui file, à contre-lune, comme une sagaie. Naoh observe ses jambes sèches, son corps couleur de terre et de chêne, les ramures qu’il incline sur le col. Il a disparu. Des loups montrent leurs têtes rondes, leurs gueules fines, leurs pattes nettes et vives. Le ventre est pâle, les flancs et le dos roussissent, puis une bande noirâtre dessine les vertèbres ; des muscles forts gonflent la nuque, toute l’allure décèle quelque chose de sournois, de judicieux et de complexe, que souligne l’obliquité du regard. Ils flairent l’élaphe, mais lui-même, dans l’humidité des pénombres, a reçu avis de leur approche et son avance est considérable. Les narines intelligentes discernent la décroissance continue des effluves : les loups savent que