Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/57

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l’herbivore gagne de l’espace. Pourtant, ils franchissent la savane, jusqu’au couvert où les plus lestes pénètrent. La poursuite paraît inutile. Tous reviennent à pas lents, déçus, quelques-uns hurlent et gémissent. Puis les narines se remettent à explorer l’atmosphère. Elles ne relèvent rien de prochain, sinon le cadavre du tigre et les hommes cachés parmi les pierres : une proie trop redoutable et une chair que, malgré leur gloutonnerie, les loups trouvent répugnante.

Ils s’en approchent, cependant, après avoir contourné le gîte des hommes.

D’abord, les loups rôdèrent autour de la carcasse, avec cette prudence excessive qui ne laisse rien au hasard. Enfin, les impatients se risquèrent. Ils portèrent leurs gueules près de la tête du tigre, près du grand mufle entrouvert, par où soufflait naguère une vie empestée et formidable ; explorant le corps, ils léchèrent les plaies rouges. Toutefois, aucun ne se décidait à porter la dent sur cette chair âpre, pleine de poison, pour qui seuls les estomacs du vautour et de l’hyène ont assez de véhémence.

Une clameur accrut leur incertitude — des plaintes, des hurlées, des ricanements. Six hyènes surgirent au clair de lune. Elles progressaient d’une allure équivoque, avec leurs avant-trains robustes, leurs torses qui s’abaissent et s’effilent pour finir par des pattes grêles. Cagneuses, le museau court et d’une puissance à broyer les os des lions, la prunelle triangulaire, l’oreille pointue et la crinière rude, elles viraient, biaisaient ou sautelaient comme des locustes. Les loups sentirent s’accroître la puanteur affreuse de leurs glandes.

C’étaient des rôdeuses de haute stature qui, par la force énorme de leurs mâchoires, eussent tenu tête aux