Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/62

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regards obliques vers celui qui avait terrassé son mâle. Et Naoh sentit une grande appréhension resserrer sa poitrine et ralentir son souffle.


V

SOUS LES BLOCS ERRATIQUES


Quand le matin erra sur la terre, le Lion Géant et la tigresse étaient toujours là. Ils sommeillaient auprès de la carcasse du daim, dans un rai de soleil pâle. Et les trois hommes, ensevelis sous le refuge de pierre, ne pouvaient détourner leurs yeux des voisins formidables. Une gaieté heureuse descendait sur la forêt, la savane et la rivière. Les hérons conduisaient leurs héronneaux à la pêche ; un éclair de nacre précédait la plongée des grèbes ; à tous les détours de l’herbe et de la branche rôdaient les oisillons. Un miroitement brusque signalait le martin-pêcheur ; le geai étalait sa robe bleu, argent et roux, et parfois la pie goguenarde, jacassant sur une fourche, balançait sa queue d’où semblaient alternativement jaillir l’ombre et la lumière. Cependant, freux et corneilles croassaient sur les squelettes de l’hémione et du tigre : désappointés devant ces ossements où ne demeurait aucun filandre, ils partaient, en vols obliques, vers les restes du daim. Là, deux épais vautours cendrés barraient la route. Ces bêtes au col chauve, aux yeux d’eau palustre, n’osaient toucher à la proie des félins. Elles tournaient, elles biaisaient, elles dardaient leur bec aux narines puantes et le retiraient, avec un dandinement stupide ou de brusques essors. Puis, immobiles, elles semblaient plongées dans un rêve, inopinément rompu