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Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/205

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DE DENTRECASTEAUX.

1792.
Juillet.
fusée partit, ils cessèrent de répondre à nos cris et res­tèrent dans le silence ; lorsqu'ensuite elle éclata et qu'elle retomba en pluie de feu, la frayeur s’empara d'eux, et ils s’éloignèrent avec précipitation : peu après nous les vîmes revenir, mais ils se tinrent toujours à une grande distance. J’imaginai de faire mettre sur une planche, avec des clous et d’autres objets d’échange, une bougie enveloppée d’une lanterne de papier, afin que ce corps flottant pût être aperçu et recueilli par eux. Mais ils parurent plus effrayés de cette lumière qui, détachée de la frégate, sembloit s’avancer vers eux en marchant sur l’eau, qu’ils ne l’avoient été de l’éclat de la fusée. Ils soupçonnèrent sans doute qu’il y avoit quelque chose de merveilleux dans la marche apparente de ce feu errant sur les flots ; car, à mesure que la dérive qui nous éloignoit de la bougie leur faisoit croire qu’ils s’en rapprochoient eux-mêmes, ils s’écartoient en prononçant à très haute voix et d’un ton précipité, des mots par lesquels ils avoient l’air de conjurer, en quelque sorte, un génie mal­faisant : enfin ils se retirèrent tout-à-fait. Le temps étoit si calme et la mer si belle, que cette bougie resta allumée près de deux heures. Lorsque les naturels arrivèrent à terre, ils allumèrent des feux, soit qu’ils crussent pouvoir attirer ainsi l’objet qu’ils imaginoient voir marcher sur les eaux, soit au contraire qu’ils voulussent l’écarter de leurs habita­tions. Au reste, ce spectacle dont ils parurent si effrayés, fut très-réjouissant pour l’équipage. Si j’avois pu prévoir néan­moins l’effet qu’il produiroit, je leur aurois épargné cet