Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/36

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y donnant tout entiers nous n’en puissions pas tout attendre. À la spirituelle prudence de ces intelligences trop averties qui renoncent en souriant, je préfère encore la naïve folie de cette Properzia de Rossi qui sculptait avec ferveur toute la passion du Christ sur un noyau de pêche ! Ce sont ceux qui n’ont pas la foi qui sont choqués. Lorsque des gens de goût vinrent dire à M. de Bornier : « Comment osez-vous apporter un pareil personnage sur les planches ? » j’aurais aimé qu’il leur répondît : « Les planches ?… Je ne connais pas les planches. Je connais le gazon que foulent Roméo et Juliette ; je connais le sable qui crie sous le pas furtif de Don Juan ; je connais les piquants d’éteule sur lesquels trotte le barbet de Faust ; je connais le marbre où se traînent les sandales d’Œdipe ; je ne connais pas les planches ! Je n’ai jamais vu se poser le pied de Titania, et je n’ai jamais entendu marcher le spectre d’Elseneur ! » J’aurais aimé qu’il leur répondit : « Le théâtre est un grand mystère : ce n’est pas notre faute si quelquefois on en a fait une petite mystification ; si l’on a rabaissé cette fête de la foule à n’être plus qu’un jeu de société consistant à faire dire une phrase qui vous avertit, d’une pointe d’ironie, que l’auteur ne croit pas à ce qu’il écrit, par un comédien qui vous avertit, d’un clin d’œil, qu’il n’est pas dupe de ce qu’il récite ! Ce n’est pas notre faute si des gens ont oublié ce que le théâtre a de sacré parce qu’une exégèse trop assidue des histoires de coulisses leur a trop appris ce qu’il a de parisien, s’ils ne sentent plus la beauté de ces minutes où quelque chose passe qui peut faire d’une toile peinte un ciel et d’un homme fardé un dieu ! Oh ! lorsque, sous l’émouvant frisson