Page:Roucher - Les mois, poëme en douze chants, Tome II, 1779.djvu/133

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Les vents sont accourus : leur troupe déchaînée
Déjà vers son déclin précipite l’année.
Déjà n’offrant par-tout qu’un aride coup-d’oeil,
L’automne se dépouille ; et la forêt en deuil,
Impuissante à garder un reste de verdure,
Sent mourir tous ses sucs liés par la froidure.
Le ciel même est changé. L’aurore au front vermeil
Se cache : elle s’endort d’un triste et long sommeil.
Le roi du jour enfin n’a plus d’avant-courrière,
Et sans être annoncé doit ouvrir sa carrière,
Il l’ouvre : mais hélas ! Ses feux tombent, perdus
Dans l’humide épaisseur des brouillards suspendus.

Touche-t-il au midi ? La reine des ténèbres
Soudain vole, l’atteint ; et de ses rets funèbres
Enveloppant les cieux dans leur vaste contour,
Sur quinze heures sans gloire y domine à son tour.
Au lieu de cette aimable et paisible rosée,
Dont la terre au printems brilloit fertilisée,
Le brouillard s’épaissit, et se glace en frimats ;
La pluie à longs torrens inonde nos climats ;
Tout nage : et cet aspect des plaines désolées,
Le fleuve avec fracas roulant dans les vallées,
Et noircissant ses eaux, et jusqu’au flanc des monts
S’élevant, prêt à rompre et ses bords et ses ponts,
Les bois sans ornement, les oiseaux sans ramage,
Tout d’un monde vieilli nous peint la sombre image ;
Tout de pensers de mort conspire à me nourrir.
Je lis autour de moi : ce qui naît doit mourir.
Mais j’y peux lire aussi : ce qui meurt doit renaître.
Héraut de cette loi, que tu nous fis connoître,
Ô vieillard de Samos ! Viens, parle, et dans mes vers
Que ta sagesse encor instruise l’univers.

Rien ne s’anéantit, non rien ; et la matière
Comme un fleuve éternel roule toujours entière.
Qui pourroit au grand-tout fournir des alimens,
Si les êtres, détruits jusqu’en leurs élémens,
Du néant chimérique étoient jamais la proie ?
Ce vêtement de feu que le soleil déploie,
Mars, Vénus et Phébé, Mercure et Jupiter
Errans avec Saturne aux plaines de l’éther,
Nos fleurs, nos grains nos fruits éclos au doux zéphyre,
Et ces rocs, dont les flancs sont veinés de porphyre,
Et ces vieilles forêts aux rameaux chevelus ;
Tout l’ouvrage des dieux enfin ne seroit plus,
Si de sa propre cendre il ne pouvoit renaître.
Je mourrai : cependant les germes de mon être
D’une éternelle mort ne seront point frappés ;
Non : de la tombe un jour mes esprits échappés,
Soutiens d’un autre corps, y nourriront la vie.
Vois-tu, lorsqu’à sa table un ami te convie,
Vois-tu de main en main passer rapidement
La fougère, où pétille un breuvage écumant ?
Eh bien ! De l’univers ce banquet est l’image :