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Enfin, j’irai m’asseoir, l’âme triste et rêveuse,
Près du Susquéhanna, dont l’onde impétueuse
Reçoit les flots versés par le Conéwago,
Au pied de York-Haven, poétique berceau :
C’est là que je voudrais, finissant ma carrière
Dans le recueillement, la paix et la prière,
Me bâtir un abri sous les cèdres ombreux,
Pour pleurer d’un ami le destin malheureux ! —
 J’irai, j’irai partout ; j’irai, j’irai sans cesse,
De mes pleurs nourrissant ma féconde tristesse ;
Sur les monts, près des lacs, au bord des verts tapis,
J’irai partout, cueillant de radieux épis !
Du Potomac scindant les ondes orgueilleuses,
Au glas électrisant des cloches glorieuses,
Je salûrai la rive où s’élève Vernon,
Où l’Immortalité veille sur Washington, —
Lui, sage entre les grands, et grand parmi les sages,
Dont le chaste laurier doit croître avec les âges ;
Lui, dont l’esprit sacré, vivant en chaque enfant,
Animera toujours son peuple triomphant ; —
Lui chez qui, demeurant dans un calme équilibre,
Toutes les facultés, comme un accord qui vibre,
Pour agir puissamment, s’unissaient sans éclat,
Dans le Guerrier fougueux, ou dans l’homme d’État…
 J’irai, j’irai partout ; j’irai, j’irai sans cesse,
De mes pleurs nourrissant ma pieuse tristesse ! —
Je veux de l’Orégon au riche Mexico,
Dans les antres profonds réveiller chaque écho ;
Sous le ciel du Pérou, près du brillant Potose,
Qui vit fleurir le Lys, émule de la Rose,
Dans les murs de Lima, dans les murs de Quito,
Solitaire, j’irai suspendre un ex-voto
J’irai voir la cellule, où vécut Sainte Rose ;
La chambre, où Marianne avec Dieu s’est enclose ;
Et je suivrai, pensif, les odorants sentiers,
Encor tout lumineux des traces de leurs pieds ;
Et de ces vierges Fleurs d’un siècle plus mystique,
J’aspirerai longtemps le parfum ascétique,
L’esprit qui reste encor pour consacrer ces bois,
Où leurs pleurs et leur sang ont coulé sur la Croix…
 Vapeur, fluide, éther, esprits de la matière,
Prêtez-moi pour voler vos ailes de lumière ;
Aussi libre que l’âme en son vol infini,
Qu’en son vol éthéré mon corps soit affranchi ;
Qu’un frêle aérostat, nacelle atmosphérique,
M’emporte en gravitant vers un monde électrique !
Qu’à tous les hauts sommets, se cachant dans les cieux.
Je jette en-bas mes cris à l’aigle audacieux ;
Et qu’en l’heureux essor d’aériens voyages
Je salue en vainqueur ce roi dans les nuages !