Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 119 )

Oui, du Contemplatif je crains l’humble prière ;
Dans son repos puissant, je hais le Solitaire !
Antoine ; Hilarion, Romuald, vous savez
Quels Esprits contre vous ma haine a soulevés ;
À quel prix vous avez conquis la solitude,
Et si des hauts sommets l’étroit sentier est rude !

 Mes sombres serviteurs, mes ames et féaux,
Fidèles messagers, anges porte-fléaux :
Combinant vos efforts dans un effort suprême,
Que chacun, en ces jours, soit autant que moi-même ;
Qu’agissant en public et tramant en secret,
Aucun ne se repose, aucun ne soit distrait.
Vous le savez, toujours, dans ma haine implacable,
J’ai combattu l’Ascète et son œuvre admirable ;
Vous le savez, toujours, pressentant leurs succès,
Des ouvrages divins je combats les progrès ;
Je suscite contre eux d’innombrables obstacles,
Par quelque grand prodige imitant les miracles !
Donc, armez contre lui les bons et les méchants ;
Faites tendre à ce but tous les meilleurs penchants ;
Engagez les esprits en d’obscurs labyrinthes ;
Éveillez dans les cœurs des doutes et des craintes ;
Irritez comme un flot toutes les passions,
De la fange de l’âme immondes scorpions !
Au lieu d’ardents amis, qu’il n’ait que de froids maîtres ;
Condamné par le monde et blâmé par les prêtres,
Qu’il éprouve de tous la sourde hostilité,
Et savoure en secret l’amère pauvreté !
Puisqu’il a méprisé le cupide et l’avare,
Qu’il ait pour spectre affreux un créancier barbare ;
Qu’il sache que le riche est seul indépendant,
Et qu’il comprenne enfin le pouvoir de l’argent !
Dans son délaissement, comme Homère et le Dante,
Qu’il reçoive, affligé, l’aumône humiliante ;
Que le secours reçu vienne de l’ennemi,
Et que de son orgueil il soit ainsi puni !
Qu’il souffre, — en sa misère, esclave Prométhée, —
D’un bienfait reproché l’injure répétée ;
Et qu’il trempe de pleurs le noir morceau de pain,
Qu’avec un dur visage on accorde à sa faim !
Puisqu’il a tant chanté la vertu virginale,
L’angélique vertu qu’aucune autre n’égale,
Qu’il sente le venin de la malignité
Ternir l’éclat divin de son lys abrité !
Que dans le chaste enclos, où croît la fleur tranquille,
Se glisse, avec la nuit, quelque froid crocodile ;
Et que d’un souffle immonde et d’un contact fangeux,
Il souille de ce lys le vêtement neigeux !