Dis-moi, le pélican austère,
Et le passereau solitaire,
Le cygne au chant mélodieux,
Ne sont-ils que des orgueilleux ?
Dis-moi, la timide gazelle,
L’agile et farouche chevreuil ;
L’aigle au ciel déployant son aile,
Sont-ils inspirés par l’orgueil ?
Pour fuir la folle multitude,
Faut-il donc haïr les humains ;
Et pour aimer la solitude,
Les bois qu’ont aimés tant de Saints,
L’onagre est-il, en sa retraite,
Un orgueilleux anachorète ?
Qu’aurais-tu fait, qu’aurais-tu dit,
Réponds, frère âne communiste,
À l’Ermite Saint Jean-Baptiste,
Dans sa caverne de granit ?
Ton héroïsme est admirable,
Admirable est ton dévoûment ;
Mais il est, j’avoue humblement,
Plus admirable qu’imitable !
Ah ! crois-moi, frère officieux,
Qui veux que l’onagre t’imite,
N’attends pas que tu sois trop vieux,
Pour songer à te faire ermite !…
Malheur au monde : vœ mundo ! —
O beata solitudo,
O solo, beatitudo !
Ô bienheureuse solitude,
Ô ma seule béatitude !
Dieu nous fit différents ;
Il te fît pour l’étable,
Il me fît indomptable :
Soyons tous deux contents !…
Mais, trêve à tout ce vain parlage :
Moi, je suis l’onagre sauvage ;
Et toi, l’âne de la cité ;
Moi, je t’ai dit la vérité ;
Toi, me lançant une ruade,
Dans ta charitable incartade,
Tu m’as bien montré quel esprit
Anime le monde maudit :
Malheur, oh ! oui, malheur au monde,
Dont la malice est si profonde !
O beata solitudo !
O sola beatitudo !
Assez d’importants personnages, —
Positifs, pratiques et sages, —
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