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Et me sentir par elle à moi-même ravie,
Comme une goutte d’eau dans l’Océan de vie !
Loin du bruit, loin du monde, à qui je dis adieu,
Loin des plus chers amis, qui séparent de Dieu ;
Loin de tous, solitaire, oubliée, oublieuse,
Je veux suivre le Christ, dans la voie épineuse !
 Ô sainte solitude, ô maîtresse des cœurs,
Que ton amour embrase en leurs élans vainqueurs,
Dans ton regard limpide et doucement austère,
Je vois se réfléchir tous les deuils du Calvaire !
Mon âme est entraînée aux accents de ta voix ;
Et ton autel m’effraie et m’attire à la fois !
Déserts inhabités, bois sombres et gothiques,
D’un vague effroi saisie en vos temples mystiques,
J’entends la voix de Dieu qui me parle en vos bruits ;
Je sens autour de moi d’invisibles appuis ;
J’erre, en chantant tout haut sur la déserte grève ;
Je ne sais quel esprit tout-à-coup me soulève,
M’illumine et m’enflamme ; et je sens s’émouvoir
Mon esprit exalté par un secret pouvoir,
Comme du grand mélèze, au doux souffle éolique,
S’éveille pour gémir l’orgue mélancolique. —
 Solitude, je vois ton règne rétabli,
Et ton nom glorieux arraché de l’oubli !
Je vois dans l’avenir, qui s’éclaire et dévoile,
Je vois sur nos déserts se lever ton étoile !
Je vois, fertile en saints, et peuplé de héros,
Germer ton Paradis, sous nos climats nouveaux !
Je vois venir à toi, vierge essaim prosélyte, —
Du peuple Américain la jeunesse d’élite !
Oui, le riche Occident te prépare un tribut :
Reine de l’Orient, Solitude, salut !
Ta gloire doit briller aux déserts d’Amérique
D’un éclat plus ardent qu’aux sables de l’Afrique ;
On y verra surgir maints pieux fondateurs,
Qui feront refleurir l’âge de tes splendeurs !
Pour consacrer bientôt des régions si vastes,
Je vois naître et grandir de saints enthousiastes,
Qui, sans s’inquiéter des jugements humains,
Vivent, dans le désert, du travail de leurs mains…
 Oh ! qui me bâtira mon étroite cabane ?
Je voudrais vivre ainsi que Rose et Marianne ;
Je voudrais imiter l’ange du Canada ;
Aimer, souffrir, ainsi que Tégahgouïta !
Avec le même attrait, avec les mêmes grâces,
Ne pourrais-je marcher sur leurs divines traces ?
Ce que mes sœurs ont pu, ne le pourrais-je point ?
Oh ! qui me bâtira ma cellule en un coin ?
 Aimer, souffrir, prier, c’est mon sort sur la terre :
Heureuse l’ermitesse, en son coin solitaire !