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L’atmosphère du monde est mortelle à l’amour :
Heureuse l’ermitesse, en son obscur séjour ! —
Salut, ô solitude, ô divine nourrice,
Ô maîtresse de l’âme, ô vierge institutrice !
Ton école céleste est celle des douleurs !
Tes fils sont abreuvés, non de lait, mais de pleurs !
Tu marques tes élus du signe de la gloire ;
Pour se plaire à ton culte, il faut aimer et croire ;
Il faut fouler aux pieds et la chair et le monde,
Et le luxe énervant de la luxure immonde !
Il faut, il faut, s’armant de la virginité,
Par l’amour de Dieu seul vaincre la volupté,
Et dans son vol ardent vers les choses de l’âme,
S’élever sans repos sur des ailes de flamme !
Oh ! qui m’emportera, loin des froides cités,
Dans les vallons ombreux, sur les monts abrités,
Dans les lieux où jamais ne va la multitude ?
Je languis dans le monde : — Oh ! prends-moi, Solitude !
Ce que mes sœurs ont pu, ne le pourrais-je point ?
Oh ! prends-moi, Solitude, et conduis-moi bien loin !
Sur l’enfant des forêts, Dieu veille avec tendresse :
Abandonnera-t-il l’humble et pauvre ermitesse ?
Lui qui prend soin des fleurs et des oiseaux du ciel,
Et qui donne, en tous lieux, à l’abeille son miel ;
Lui, dont la Providence, en sa loi régulière,
S’étend avec amour sur la nature entière ;
Lui, le Consolateur ; lui, le Père et l’Époux ;
Lui, le céleste Amant, solitaire et jaloux ;
Abandonnera-t-il l’épouse fugitive,
Dans son amour pour lui, solitaire et craintive ?
Oh ! non ; son bras puissant ne s’est pas raccourci ;
Ce qu’il a fait ailleurs, il le ferait ici !…
 Ô toi, ma Mère, étoile étincelante et douce,
Qui nous montres le piège où le Démon nous pousse,
Et qui, servant de guide et de phare au pécheur,
Éclaires son chemin et rassures son cœur ;
Ô boussole, ô flambeau de notre nuit profonde,
Daigne luire sur moi, dans l’exil de ce monde ;
Et conduisant mes pas à travers le désert,
Fais que par Jésus-Christ le ciel me soit ouvert !
 Et vous, fleurs des forêts, dont l’esprit sur moi plane :
Ô Tégahgouïta, Solano, Marianne,
Rose et Lys, dont l’odeur autrefois parfuma
La ville de Quito, la ville de Lima :
Intercédez pour moi, qui souffre et lutte encore,
Afin que votre esprit en mon cœur fasse éclore
L’amour de la prière et de l’humilité ;
Et la haine des biens, aimés dans la cité !
Intercédez pour moi dans le ciel où vous êtes,
Afin que sur la terre, imitant les ascètes,