Page:Rouquette - Meschacébéennes, 1839.djvu/72

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Pour ton cœur fraternel ce doute est un mystère.
Hé bien ! apprends-le donc, car je ne puis le taire.
Apprends-le; j’ai souffert pendant de longues nuits:
L’étude est impuissante à bercer mes ennuis,
Et, dans ses mille voix, la nature créole
N’a pas un seul accent, un bruit qui me console !
La lointaine chanson d’un invisible oiseau,
Les soupirs des grands pins, les plaintes du roseau,
L’assoupissant écho de l’écumeuse rame,
Rien ne parle à mon cœur, rien ne m’allége l’âme !
Oh ! c’est que deux instincts contraires mais puissans,
D’importuns aiguillons me harcèlent les sens ;
C’est qu’aujourd’hui je rêve à la terre du Dante,
J’étreins d’un bras fiévreux l’italienne ardente,
Sur la lagune bleue, au flot tiède et mouvant,
J’écoute un chant du Tasse emporté par le vent ;
Je tiens sur mes genoux une brune maîtresse,
De ses longs cheveux noirs dénouant une tresse,
Et de bonheur ému, je sens, comme Byron,
A chaque coup donné de rame ou d’aviron,
Mon poumon rafraîchi qui se dilate à l’aise…
Demain…je pleurerai, triste sous le mélèze,
Quand l’autre instincts s’éveille et bouillonne vainqueur,
Et revient m’arracher tous ces rêves du cœur.
Adieu l’heureux départ ! adieu le long voyage !
Adieu sur l’Océan notre double sillage !