Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/222

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morale mise en action, ce sont les préceptes réduits en exemples ; la tragédie nous offre les malheurs produits par les vices des hommes, la comédie les ridicules attachés à leurs défauts ; l’une et l’autre mettent sous les yeux ce que la morale ne montre que d’une manière abstraite et dans une espèce de lointain. Elles développent et fortifient par les mouvements qu’elles excitent en nous, les sentiments dont la nature a mis le germe dans nos âmes.

On va, selon vous, s’isoler au spectacle, on y va oublier ses proches, ses concitoyens et ses amis. Le spectacle est au contraire celui de tous nos plaisirs qui nous rappelle le plus aux autres hommes, par l’image qu’il nous présente de la vie humaine, et par les impressions qu’il nous donne et qu’il nous laisse. Un poète dans son enthousiasme, un géomètre dans ses méditations profondes, sont bien plus isolés qu’on ne l’est au théâtre. Mais quand les plaisirs de la scène nous feraient perdre pour un moment le souvenir de nos semblables, n’est-ce pas l’effet naturel de toute occupation qui nous attache, de tout amusement qui nous entraîne ? Combien de moments dans la vie où l’homme le plus vertueux oublie ses compatriotes et ses amis sans les aimer moins ; et vous-même, monsieur, n’auriez-vous renoncé à vivre avec les vôtres que pour y penser toujours ?

Vous avez bien de la peine, ajoutez-vous, à concevoir cette règle de la poétique des anciens, que le théâtre purge les passions en les excitant. La