Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/223

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règle, ce me semble, est vraie, mais elle a le défaut d’être mal énoncée ; et c’est sans doute par cette raison qu’elle a produit tant de disputes, qu’on se serait épargnées si on avait voulu s’entendre. Les passions dont le théâtre tend à nous garantir ne sont pas celles qu’il excite ; mais il nous en garantit en excitant en nous les passions contraires : j’entends ici par passion, avec la plupart des écrivains de morale, toute affection vive et profonde qui nous attache fortement à son objet. En ce sens, la tragédie se sert des passions utiles et louables, pour réprimer les passions blâmables et nuisibles ; elle emploie, par exemple, les larmes et la compassion dans Zaïre, pour nous précautionner contre l’amour violent et jaloux ; l’amour de la patrie dans Brutus, pour nous guérir de l’ambition ; la terreur et la crainte de la vengeance céleste dans Sémiramis, pour nous faire haïr et éviter le crime. Mais si avec quelques philosophes on n’attache l’idée de passion qu’aux affections criminelles, il faudra pour lors se borner à dire que le théâtre les corrige en nous rappelant aux affections naturelles ou vertueuses que le Créateur nous a données pour combattre ces mêmes passions.

« Voilà, objectez-vous, un remède bien faible et cherché bien loin : l'homme est naturellement bon ; l'amour de la vertu, quoi qu'en disent les philosophes, est inné dans nous ; il n'y a personne, excepté les scélérats de profession, qui, avant d'entendre une tragédie, ne soit déjà persuadé des vérités dont elle va nous instruire ; et