Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/224

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à l’égard des hommes plongés dans le crime, ces vérités sont bien inutiles à leur faire entendre, et leur cœur n’a point d'oreilles.» L’homme est naturellement bon, je le veux ; cette question demanderait un trop long examen ; mais vous conviendrez du moins que la société, l’intérêt, l’exemple, peuvent faire de l’homme un être méchant. J’avoue que quand il voudra consulter sa raison, il trouvera qu’il ne peut être heureux que par la vertu ; et c’est en ce seul sens que vous pouvez regarder l’amour de la vertu comme inné dans nous ; car vous ne croyez pas apparemment que le fœtus et les enfants à la mamelle aient aucune notion du juste et de l’injuste. Mais la raison ayant à combattre en nous des passions qui étouffent sa voix, emprunte le secours du théâtre pour imprimer plus profondément dans notre âme les vérités que nous avons besoin d’apprendre. Si ces vérités glissent sur les scélérats décidés, elles trouvent dans le cœur des autres une entrée plus facile ; elles s’y fortifient quand elles y étaient déjà gravées ; incapables peut-être de ramener les hommes perdus, elles sont au moins propres à empêcher les autres de se perdre. Car la morale est comme la médecine ; beaucoup plus sûre dans ce qu’elle fait pour prévenir les maux, que dans ce qu’elle tente pour les guérir.

L’effet de la morale du théâtre est donc moins d’opérer un changement subit dans les cœurs corrompus, que de prémunir contre le vice les âmes faibles par l’exercice des sentiments honnêtes, et