Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/412

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ardentes & les plus sinceres qui jamais peut-être aient été faites par aucun mortel, je me décidai pour toute ma vie sur tous les sentimens qu’il m’importoit d’avoir, & si j’ai pu me tromper dans mes résultats, je suis sûr au moins que mon erreur ne peut m’être imputée à crime ; car j’ai fait tous mes efforts pour m’en garantir. Je ne doute point, il est vrai, que les préjugés de l’enfance & les vœux secrets de mon cœur n’aient fait pencher la balance du côté le plus consolant pour moi. On se défend difficilement de croire ce qu’on desire avec tant d’ardeur, & qui peut douter que l’intérêt d’admettre ou rejetter les jugemens de l’autre vie ne détermine la foi de la plupart des hommes sur leur espérance ou leur crainte ? Tout cela pouvoit fasciner mon jugement, j’en conviens, mais non pas altérer ma bonne foi : car je craignois de me tromper sur toute chose. Si tout consistoit dans l’usage de cette vie, il m’importoit de le savoir, pour en tirer du moins le meilleur parti qu’il dépendroit de moi tandis qu’il étoit encore tems & n’être pas tout-à-fait dupe. Mais ce que j’avois le plus à redouter au monde dans la disposition où je me sentois, étoit d’exposer le sort éternel de mon ame pour la jouissance des biens de ce monde, qui ne m’ont jamais paru d’un grand prix.

J’avoue encore que je ne levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difficultés qui m’avoient embarrassé, & dont nos philosophes avoient si souvent rebattu mes oreilles. Mais, résolu de me décider enfin sur des matieres où l’intelligence humaine a si peu de prise, & trouvant de toutes parts des mysteres impénétrables & des objections insolubles,