Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/102

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ne le rachète. Quelle que soit l’intention de celui qui donne, même par forcé, il reste toujours bienfaiteur & mérite toujours comme tel la plus vive reconnoissance. Pour éluder donc la brutale rusticité de notre homme, on a imagine de lui faire de en détail à son insçu beaucoup de petits dons bruyans qui demandent le concours de beaucoup de gens & sûr-tout du menu peuple qu’on fait entrer ainsi sans affection dans la grande confidence, afin qu’à l’horreur pour ses forfaits se joigne le mépris pour sa misère & le respect pour ses bienfaiteurs. On s’informe des lieux ou il se pourvoit denrées nécessaires à sa subsistance, & l’on a soin qu’au même prix on les lui fournisse de meilleure qualité & par conséquent plus chères.*

[*Voici une explication que la vérité semble exiger de moi.

L’augmentation du prix des denrées, & les commencemens de caducité qui paroissoient en M. Rousseau vers la fin de ses jours, faisoient craindre à sa femme qu’il ne succombât, faute d’une nourriture saine. Elle se décida alors, avec l’aveu d’une personne en qui elle avoit de la confiance, tromper pieusement son mari, sûr le prix qu’on la faisoit payer sa petite provision de bouche. Voici le fait, & c’est ainsi que cet infortuné voyoit par-tout la confirmation de ses malheurs. Ses adversaires s’y sont pris bien adroitement, en poussant à bout sa sensibilité : c’étoit seulement de ce cote-la qu’ils pouvoient avoir quelque prise sûr sa grande ame. Note de l’éditeur.] Au fond cela ne lui fait aucune économie, & il n’en a pas besoin, puisqu’il est riche : mais pour le même argent il est mieux servi, sa bassesse & la générosité de nos Messieurs circulent ainsi parmi le peuple, & l’on parvient de cette maniere à l’y rendre abject & méprisable en paroissant ne songer qu’à son bien-être & à le rendre heureux malgré lui. Il est difficile que le misérable ne s’apperçoive pas de ce