Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/186

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d’après mon cœur ce que je voyois faire aux autres, je leur prêtois les motifs qui m’auroient fait agir à leur place, & je m’abusois toujours. Donnant trop d’attention à leurs discours & pas assez à leurs œuvres, je les écoutois parler plutôt que je ne les regardois agir ; ce qui, dans ce siecle de philosophie & de beaux discours me les faisoit prendre pour autant de sages & juger de leurs vertus par leurs sentences. Que si quelquefois leurs actions attiroient mes regards, c’étoient celles qu’ils destinoient à cette fin, lorsqu’ils montoient sur le théâtre pour y faire une œuvre d’éclat qui s’y fit admirer ; sans songer dans ma bêtise que souvent ils mettoient en avant cette œuvre brillante pour masquer dans le cours de leur vie un tissu de bassesses & d’iniquités. Je voyois presque tous ceux qui se piquent de finesse & de pénétration s’abuser en sens contraire par le même principe de juger du cœur d’autrui par le sien. Je les voyois saisir avidement en l’air un trait un geste un mot inconsidéré, & l’interprétant à leur mode s’applaudir de leur sagacité en prêtant à chaque mouvement fortuit d’un homme un sens subtil qui n’existoit souvent que dans leur esprit. Eh quel est l’homme d’esprit qui ne dit jamais de sottise ? Quel est l’honnête homme auquel il n’échappe jamais un propos répréhensible que son cœur n’a point dicte ? Si l’on tenoit un registre exact de toutes les fautes que l’homme le plu parfait à commises, & qu’on supprimât soigneusement tout le reste, quelle opinion donneroit-on de cet homme-là ? Qu dis-je, les fautes ! Non, les actions les plus innocentes les gestes les plus indifférens les discours les plus sensés, tout dans un observateur qui se passionne, augmente & nourrit le