Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/125

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Bourgoin, le 15 Janvier 1769.

Je sens, Monsieur, l’inutilité du devoir que je remplis en répondant à votre derniere lettre : mais c’est un devoir enfin que vous m’imposez & que je remplis de bon cœur, quoique mal, vu les distractions de l’état où je suis.

Mon dessein, en vous disant ici mon opinion sur les principaux points de votre lettre, est de vous la dire avec simplicité & sans chercher à vous la faire adopter. Cela seroit contre mes principes & même contre mon goût. Car je suis juste, & comme je n’aime point qu’on cherche à me subjuguer, je ne cherche non plus à subjuguer personne. Je sais que la raison commune est très-bornée ; qu’aussi-tôt qu’on sort de ses étroites limites, chacun a la sienne qui n’est propre qu’à lui ; les opinions se propagent par les opinions non par la raison & que quiconque cede au raisonnement d’un autre, chose déjà très-rare, cede par préjugé, par autorité, par affection, par paresse ; rarement, jamais peut-être, par son propre jugement.

Vous me marquez, Monsieur, que le résultat de vos recherches sur l’Auteur des choses est un état de doute. Je ne puis juger de cet état, parce qu’il n’a jamais été le mien. J’ai cru dans mon enfance par autorité, dans ma jeunesse par sentiment, dans mon âge mûr par raison, maintenant je crois parce que j’ai toujours cru. Tandis que ma mémoire éteinte ne me remet plus sur la trace de mes raisonnemens, tandis que ma judiciaire affoiblie ne me permet plus de les recommencer, les opinions